Ma première « Vallée Blanche »
Deuxième épisode du récit "Cinquante ans en Savoie"
Les photos illustrant cet article sont des numérisations des diapos prises lors de cette expédition. De ce fait la qualité n'est pas formidable!
Arrivé à Bourg Saint Maurice un vendredi en fin d’après-midi comme je l’ai narré dans un précédent message, je m’installe dans la chambre mise à ma disposition.
Le soir à l’heure du repas, je me dirige vers le mess des Sous-Officiers, où je rencontre mes futurs collègues, Christian, Gilbert (dit Roro !), François, Patrice (Titou), et d’autres... !
Les questions fusent : « d’où viens-tu ? », « t’es déjà venu en montagne ? », « t’es déjà monté en altitude ? », « tu sais skier ? « t’as du matériel de ski ? », t’as déjà « fait » de la peau de phoque ? »
Et la question qui me surprend : « Tu fais quoi ce dimanche ? »
« Bah, j’arrive, je vais m’installer, visiter un peu le coin..., pourquoi ? Vous avez une activité à me proposer ? »
Et l’un me dit : « Dimanche on va faire la Vallée Blanche, ça te dit de venir avec nous ? »
Moi : « Ben, c’est quoi la Vallée Blanche ? »
Un autre : « Bah, c’est comme une piste de ski, du côté de Chamonix, on prend un téléphérique jusqu’à l’Aiguille du Midi et on redescend jusque Chamonix ! »
« Ah bon, mais c’est dur ? »
Un autre encore : « Pas vraiment, c’est comme une piste bleue, ou rouge. Si tu sais skier « en stem », c’est bon ! »
Moi : « Mais le téléphérique, j’ai jamais pris ! Il monte haut ? »
Tous, en chœur : « 3842 ! »
Là, j’ai commencé à stresser ! « 3842 ? », mais j’ai jamais dépassé 1363 m, moi, l’altitude du Hohneck ! » « Ha si, je suis monté une fois à 1493 m, au Feldberg, en Forêt Noire, quand j’étais à Donaueschingen ! »
Les sourires narquois de mes interlocuteurs m’ont fait penser un instant qu’ils se fichaient de ma figure, mais non, sympas, ils m’ont convaincu que tout allait bien se passer.
La journée de samedi a été consacrée à m’équiper correctement.
Et dimanche matin, 6h00, nous voilà partis vers « Cham ».
Dans la file d’attente du téléphérique, Christian me dit : « On va là-haut ».
Je dois me tordre le cou pour apercevoir une sorte de fusée lunaire plantée sur un pic, très haut dans le ciel d’un bleu éclatant.
J’en connais un qui a « serré les fesses » dans la deuxième benne qui franchi d’une seule traite la distance et le dénivelé entre le Plan de l’Aiguille et la gare d’arrivée supérieure... !!!
Et je te dis pas, sur l’arête que l’on descend à pied vers le début de la descente à ski, d’un côté, Chamonix 2800 m plus bas, de l’autre, le glacier et ses crevasses.... !
Là je me dis : « Fais semblant de ne pas avoir peur, les autres te regardent... !!! »
Et nous voilà partis dans la descente. J’avais reçu comme consigne de bien suivre la trace de Christian, ou de Roro, je ne sais plus qui étais notre guide ce jour-là !
Chaque virage coûte une énergie folle. Pas du tout acclimaté à cette altitude, tous les deux ou trois virages je dois m’arrêter pour reprendre mon souffle, à la recherche de l’oxygène... !!!
Cela me permet de regarder le paysage époustouflant qui se présente !
Des pics, des parois vertigineuses, des arêtes effilées, des corniches impressionnantes ! Où sont mes ballons, mes montagnes à moi ???
Au final, je ne m’en sors pas si mal. Mon style n’est peut-être pas très académique, mais ça passe, et mes compagnons de course me félicitent ! Ouf, première partie du test réussi.
Passé le « Gros Rognon », j’entends dire : « Attention, on arrive aux séracs, les crevasses sont ouvertes, faut faire gaffe ! »
« Aie aie, mamaaannnn ! » Non, j’ai pas dit dis ça ! mais je n’en menais tout de même pas large... !
Au pied des séracs, la « Salle à Manger », c’est bien comme cela que c’est indiqué sur la carte , en fait un petit plateau où le glacier se repose un peu après sa chute de presque 1000 m !
L’altimètre du copain marque 2400 m, je respire mieux, on vient de perdre presque 1500 m depuis la sortie de l’Aiguille!
On se fabrique un fauteuil avec les skis plantés dans la neige et on se pose pour le casse-croûte.
Tout en mangeant, je me retrouvais au cœur du décor des livres de Frison-Roche, « Premier de cordée » et « Retour à la Montagne », sur lesquels pendant mes lectures, je rêvais d’exploits futurs, utopique sans doute !.
L’Envers des Aiguilles avec le refuge du Requin d’un côté, « La » Verte et les Drus de l’autre. Un peu en arrière encore, les Grandes Jorasses. Ouf, j’en prend plein les yeux.
La suite de l’itinéraire semble plus facile, genre « piste bleu », excepté le passage des quelques crevasses çà et là, la Mer (de Glace) est calme !!!.
On passe sous Le Montenvers pour aller prendre une petite vire qui permet de sortir du glacier qui, à l’époque, descendait beaucoup plus bas que maintenant. Et on termine la descente par une piste forestière pour arriver à quelques encablures de la gare de départ de la crémaillère du Montenvers !
Ben mon vieux, si je m’attendais à cette entrée en matière pour ma première expédition en montagne.
Je suis lessivé ! L’altitude, les efforts fournis, la longueur de la descente (pas loin de 17 km et 2800 m de dénivelé !), le stress (si quand même !), m’ont « ruiné ».
Avant de reprendre la route, on fait un tour dans les rues animées de Chamonix.
« Ho, regardez là-bas, une terrasse, avec des tables et des transats. Si on allait boire une bière ? »
« Comment s’appelle ce bistrot ? » « Je sais pas, attend, au-dessus de la porte il y a un écusson en bois avec une montagne stylisée en forme de « M » ! »
Je n’imaginais pas alors que ce lieu, « l’M » allait devenir le rendez-vous incontournable des retours de courses, quand on s’avalait des pintes de bières qu’on appelait « formidables », lors des stages que j’allais effectuer les années suivantes à l’Ecole Militaire de Haute Montagne !